Comme l’écrivait Jean-Pierre Vernant, le grand historien de la Grèce antique : » La divination est la chose du monde la mieux partagée »
Depuis les origines, le souci de connaître l’avenir est une volonté récurrente de l’homme, liée très certainement à sa condition mortelle et à un désir obsessionnel chez lui d’être maître de son destin et de trouver un sens à sa présence sur terre.
Dans leur diversité et leur complexité, les processus et les outils de divination imaginés à travers les temps et les cultures rendent compte de cette réalité : astrologues babyloniens, oracles grecs (pythie de Delphes) haruspices étrusques lisant l’avenir dans les entrailles des animaux, alphabets magiques des vikings (runes) ou des druides (ogams), hexagrammes chinois (Yi King) évocation des morts (nécromancie), divination par les signes de la terre (géomancie) par les cartes (cartomancie) par les lignes de la main (chiromancie) et bien d’autres techniques encore, la plupart étant toujours en pratique aujourd’hui.
Le continent africain, on s’en doute, n’est pas en reste, le devin guérisseur tenant une place essentielle dans les cultures traditionnelles dont les croyances reposent essentiellement sur le contact avec le surnaturel (ancêtres ou esprits de la nature) Parmi les différents procédés divinatoires visant à provoquer ce contact on trouve l’interrogation(esprits, totems, défunts) pour dénouer une crise ; l’ordalie (épreuve physique, ingestion de poison) pour démasquer les sorciers ; l’oracle révélation du secret par des rites ; la transe faisant intervenir le corps comme instrument du message (exorcisme, possession) ; l’interprétation ou divination stricto sensu reste une démarche très complexe faisant intervenir des manipulations savantes d’objets et de matériaux organiques (noix, cauris cailloux, cordelettes, bâtonnets, huile, sang, animaux…) ainsi que des gestes et des paroles en relation avec des codes de calculs élaborés et des supports divers (coupes, plateaux, statuettes)
Pour donner un exemple original, citons les oracles à souris utilisés par les Baoulé de Côte d’Ivoire. Il s’agit de boites cylindriques divisées en deux compartiments. Sur la partie supérieure sont disposés de la farine et des bâtonnets. Celle-ci communique avec la partie inférieure où l’on place des souris qui en venant manger la farine déplacent les bâtonnets dont la nouvelle disposition est interprétée par le devin.
Face à l’apparence irrationnelle de telles pratiques, gardons à l’esprit qu’il existe y compris chez nous des méthodes de divinations tout aussi excentriques : Cromnyomancie ou divination par les oignons (autrefois en Allemagne, cet oracle renseignait les jeunes filles sur le nom de leur futur mari. elles inscrivaient les noms des différents prétendants sur des oignons, le premier germé leur donnant le nom du futur mari…) Chitonomancie divination par la manière de s’habiller (plus particulièrement la façon d’enfiler sa chemise…) Ptarmoscopie ou prédiction par les éternuements, Chasminancie ou divination par les bâillements, Otanechomancie ou divination par les bourdonnements d’oreille…
Selon une estimation les revenus de la voyance représentent en France autour de 3 milliards d’euros par an, 15 millions de consultations, en augmentation régulière par le biais d’Internet.Chaque année, des salons de la voyance sont organisés à Paris, Bruxelles, Genève ou Aix-les-Bains. On estime que plus de 20% des femmes et environ 10% des hommes ont déjà fait appel aux services d’un voyant.
Si l’on veut bien mettre de côté l’exploitation d’un tel marché par bon nombre de charlatans, il n’en reste pas moins que l’adhésion aux procédés divinatoires, constitue une préhension particulière du monde, un mode de savoir entre révélation et rationalité qui relève d’une réalité symbolique présente dans toutes les cultures et porteuse d’une fonction sociale qu’il ne faut pas négliger. La divination ne se résume pas à prédire l’avenir, elle ancre l’individu et le groupe dans le monde en donnant du sens à l’existence et aux événements de la vie quand bien même cette connaissance repose plus sur une révélation que sur une investigation empirique. Sans entrer dans le débat sensible entre « pensée scientifique » et « pensée magique », force est de constater que la science contemporaine est loin d’avoir résolue toutes nos interrogations pour se permettre de mépriser le domaine dit du « paranormal » ne serait-ce que comme objet d’étude.
Ici, plus que le résultat, il semblerait que ce soit la démarche interrogative qui importe, la volonté de se projeter dans le futur, de se soustraire à une condition humaine par trop angoissante car comme le soulignait Confucius : « Qui ne se préoccupe pas de l’avenir lointain, se condamne aux soucis immédiats ».
Paul Matharan (Afiavimag)